Alain Fousseret, fondateur des Verts, nous a quittés. A l’occasion du Congrès national d’Europe Ecologie – Les Verts, Dominique Voynet, accompagnée de militant-es comtois, lui a rendu hommage.
Vous trouverez le texte ci-dessous :
« Bonjour à toutes et à tous,
Samedi 26 novembre… C’est l’assemblée générale des Verts de Franche-Comté, comme nous continuons à le dire spontanément. Alain Fousseret est un des membres sortants du bureau régional, il a décidé de ne pas se représenter, il est las, il veut privilégier les actions de terrain, il est content de passer la main et s’en explique avec humour. Ceux qui le connaissent bien perçoivent dans sa voix une pointe, déjà, de nostalgie.
C’est la dernière fois que nous le verrons. Quelques jours plus tard, Alain meurt en chemin, au retour de quelques jours en Allemagne où Pierrot, son fils, est en train de s’installer avec femme et enfant.
Comment rendre compte en quelques minutes de la vie d’Alain, pour lequel la vie et l’engagement ont toujours été étroitement mêlés, une vie où le militantisme était toujours présent, un militantisme d’où la vie n’était jamais absente…
C’est aux Amis de la Terre de Besançon, qu’il venait de créer avec Claude Le Roux, que nous nous sommes rencontrés, en… 1977. Alain fait des études de bio, il s’intéresse à l’ornithologie, il participe activement – déjà – à la lutte contre le « grand canal », coordonnée par le CLAC, fondé par Pierre Parreaux, qui unira pendant plus de 20 ans tous les opposants, de l’Alsace autour de Solange Fernex à la Bourgogne autour de Thierry Grosjean. Inaugurant une façon de faire qu’il respectera toute sa vie – un pied dans la théorie, un pied dans l’action – il construit un char monumental pour la traditionnelle « cavalcade de la commune libre de St Ferjeux », un quartier de Besançon, qui montre « un effrayant capitaliste écrasant la vallée du Doubs ».
Il y a là Alain, Christine, Pierre, Claude, Thierry, Hélène… Nous nous comptons sur les doigts de deux ou trois mains mais nous n’avons peur de rien. Et très vite, nous ressentons le besoin de peser davantage sur la vie politique, trustée par des hommes mûrs en costume gris, issus de quelques grands partis peu attentifs aux mouvements de la société. Nous participons en mai 1980 aux Assises de Lyon, destinées à choisir le candidat de l’écologie aux présidentielles de 1981. Déçus et révoltés par la décision de Brice Lalonde de ne pas donner de suite politique à sa campagne, nous fondons la FEFC en janvier 1982 et jetons nos petites forces, avec un brin d’inconscience et beaucoup d’ardeur, dans la création d’un mouvement d’écologie politique national. Ca sera la Confédération écologiste, qui naît en Franche-Comté en 1983, puis la fusion de la Confédération écologiste et du Parti écologiste qui donne naissance aux Verts en 1984.
Localement, nous sommes de tous les combats, contre la construction de la centrale nucléaire de Fessenheim, pour la reconnaissance du statut d’objecteur de conscience ou contre l’installation de missiles Pluton à côté de Belfort (c’est encore la guerre froide). Et en 1983, Alain est notre tête de liste aux élections municipales à Besançon. 9 % des voix… C’est inattendu. Nous obtiendrons du maire socialiste d’alors qu’il rejoigne à son tour la lutte contre le canal Rhin-Rhône à grand gabarit. Saône et Doubs vivants naîtra un peu plus tard pour fédérer tous les opposants. Une lutte qui ne sera gagnée que des années plus tard, en1997…
Si je vous raconte cela, ce n’est pas juste pour donner des repères historiques que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître.. C’est parce qu’Alain – solide, tenace, fiable – a toujours été là, à chaque étape de la construction de notre mouvement (il n’a jamais, je crois, utilisé le mot parti). Il a été l’un des premiers adhérents des Verts ; et il l’est resté, dans les années fastes comme lorsque c’était moins gratifiant, jusqu’au moment où sa vie s’est arrêtée.
Beaucoup ici se souviennent qu’il a assumé des responsabilités nationales. Il a été secrétaire national, ou plutôt co-secrétaire national, avec Marie-Françoise Mendez, à une époque où il n’y avait ni téléphone portable, ni internet, et où le financement public des activités politiques existait si peu qu’avec Gérard Galtier, trésorier national et quelques autres, il déroulait son sac de couchage au local de la rue Parmentier faute de prise en charge des nuits d’hôtel… Il a été de l’aventure des Verts au Pluriel, qui permit de tourner la page du « ni droite-ni gauche » en 93. Il fut aussi l’un des « grognards » de la campagne présidentielle de 1995, avec Domi Bernard, Gérard Onesta, Dominique Plancke…
Féministe, conscient que rien de bien ne se ferait sans « la moitié du ciel », il a soutenu et mis en place la parité à tous les niveaux au sein du mouvement, bien avant que la loi ne l’organise…. Plus tard et pendant des années, il a assumé un rôle ingrat au conseil statutaire, à la fois fasciné et effaré par l’inventivité des protagonistes des conflits qu’il se devait de régler… Tout cela sans jamais laisser tomber ce qui lui apparaissait essentiel : le terrain.
Alain avait plein d’idées, et faisait ce qu’il fallait pour qu’elles deviennent réalité. La perceuse et le pinceau dans une main, le clavier de l’ordi et le téléphone dans l’autre, il savait tout faire.
Avec lui, nous avons manifesté, à pieds, en vélo, en train, en péniche – oui, oui, en péniche ; nous avons peint des banderoles, projeté des films, servi du café, offert des croissants, enterré le grand canal devant les locaux de la compagnie nationale du Rhône, planté des arbres, organisé des foires bios, semé « d’incroyables comestibles », organisé dans des lieux improbables des journées de printemps, pendant franc-comtois des universités d’été des Verts, marché de Chaux à Frais (deux villages au nom prédestiné du Territoire de Belfort) pour mobiliser contre le changement climatique.
Alain n’était pas un idéologue éloigné des réalités, proférant des jugements lapidaires derrière un écran. Il avait des convictions solides mais il ne se comportait jamais de façon méprisante ou sectaire avec ceux qui ne les partageaient pas, ou pas encore. Il cherchait à comprendre, à trouver un terrain où le dialogue était possible, et ce sont parfois ses adversaires politiques qui le disent le mieux. Il comprenait les contradictions qui tiraillent la société, à la fois consciente qu’il faut changer, et incapable de s’y résoudre. Il savait qu’on ne ferait rien de grand sans convaincre, les agriculteurs du Haut Doubs, les syndicalistes d’Alstom ou de Peugeot, les automobilistes et les chômeurs… Avec les chasseurs, c’était plus compliqué..
Alain était fidèle en amour et en amitié. Il l’était aussi dans ses engagements car quand on s’engage, il faut tenir, n’est-ce-pas ? C’est ce qu’il a fait dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, en montant des associations et des entreprises, en accompagnant des équipes, en assurant un rôle d’administrateur… C’est ce qu’il a fait en soutenant la lutte de Domenico Lucano, le vaillant maire de Riace emprisonné pour avoir permis la renaissance de son village désolé de Calabre en y accueillant des migrants. C’est ce qu’il a fait en animant le groupe des Verts de Belfort, en soutenant l’équipe municipale de Danjoutin, où il était élu et n’avait que des amis.
Alain a été élu, aussi, après avoir été longtemps candidat sans espoir le l’être, pour témoigner, pour alerter, pour convaincre. Conseiller régional d’opposition en 1998, il devient vice-président en charge des lycées en 2004, avec Raymond Forni, puis vice-président en charge des Transports en 2010 avec Marie-Guite Dufay. Il fera merveille dans ce rôle, galvanisant élus et administration. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui, comme Alain, auront eu le plaisir de mener à bien la réouverture d’une voie ferrée et la réhabilitation d’une gare ?
Alain était généreux et accueillant. Il aimait partager, autour d’une bonne table ou d’un simple café dans sa cuisine. Il a marqué de sa rondeur chaleureuse, de sa bienveillance rieuse, de ses blagues d’ogre bienveillant, plusieurs générations de militants, qu’il a formés, encouragés, consolés aussi. Mais nous savions que, derrière la façade joviale, derrière l’amour et la fierté dont il témoignait envers Cathie, sa femme, Pierre et Camille, ses enfants, il y avait aussi de l’inquiétude et de la difficulté à accepter le temps qui passe.
Nous ne sommes et ne serons sans doute jamais sages et nous n’acceptons pas la mort brutale d’Alain. Notre peine est plus légère d’être partagée, entre nous et avec vous. Mais la question demeure : comment continuer sans lui ? »
Dominique Voynet
Secrétaire régionale EELV Franche-Comté